Le recyclage du plastique : une nouvelle frontière pour le blanchiment d’argent
Conformité

Le recyclage du plastique : une nouvelle frontière pour le blanchiment d’argent

23 avril 2025
Par Dr. Oussama MARGHENI

Le recyclage du plastique, secteur en pleine croissance au nom de la transition écologique, est aujourd’hui détourné par des réseaux criminels transnationaux à des fins de blanchiment d’argent. À travers des circuits commerciaux opaques, des flux financiers complexes et des structures de façade prétendument écologiques, cette industrie devient un vecteur de légitimation pour des fonds issus d’activités illicites. Cette analyse vise à mettre en lumière les mécanismes observés, à travers notamment l’affaire des déchets italiens en Tunisie et les activités d’organisations environnementales controversées.

Un secteur économiquement attractif mais vulnérable

L’économie circulaire liée au recyclage du plastique génère plusieurs dizaines de milliards de dollars annuellement. Sa chaîne logistique est mondialisée, fragmentée, et difficilement contrôlable. Les faiblesses en matière de traçabilité et la diversité des régulations nationales constituent une brèche exploitable par des acteurs malveillants. L’exportation vers des pays tiers de déchets prétendument recyclables constitue un canal idéal pour justifier des mouvements de fonds à l’échelle internationale.

Schémas de blanchiment dans le secteur du recyclage

Les techniques de blanchiment observées dans ce secteur incluent : la surfacturation de déchets, la création de sociétés fictives, le recours à des contrats frauduleux de traitement ou d’exportation, et l’utilisation de labels environnementaux comme écran de légitimité. Certains réseaux mettent en place des chaînes d’intermédiaires pour brouiller l’origine et la destination des flux financiers. Ce type de montage est bien connu des professionnels de la lutte contre le blanchiment d’argent dans d’autres secteurs d’activités.

Au niveau local, et grace à l’organisation en reseaux de petits et grands collecteurs de déchets et de contres de collectes, ce secteur représente aussi un risque important de blanchiment d’argent et même de financement du terrorisme en exploitant ses enormes besoins en argent liquide pour payer les transactions entre les différents niveaux

Étude de cas : l’affaire des déchets italiens importés en Tunisie

L’affaire révélée en 2020 implique une entreprise tunisienne ayant importé illégalement des déchets ménagers d’Italie sous couvert de recyclage. Le contrat portait sur plusieurs milliers de tonnes et plus de 5 millions d’euros. Une enquête a révélé des failles administratives, des complicités internes, et des incohérences juridiques. Bien que les accusations aient principalement porté sur l’aspect environnemental, les éléments financiers laissent entrevoir un potentiel montage de blanchiment transfrontalier via un habillage contractuel ‘vert’.

Organisation pseudo-écologique et greenwashing logistique

Des journalistes d’investigation ont récemment mis en évidence le rôle d’une organisation internationale qui attribue des logos de recyclage à des sociétés dans différents pays, sans contrôle réel sur la destination finale des déchets. Des emballages estampillés de ce logo ont été retrouvés en Bulgarie, destinés à l’incinération dans des installations non conformes. Ces pratiques de greenwashing logistique sont préoccupantes, car elles peuvent légitimer des circuits financiers opaques sous une apparence d’écoresponsabilité.

L’Afrique : une cible exposée

En raison de capacités de contrôle encore limitées, d’une fragmentation institutionnelle et de vulnérabilités douanières, les pays africians sont particulièrement exposée à ces circuits frauduleux. Il convient d’attirer l’attention des autorités de régulation, mais aussi des institutions financières, sur les risques de blanchiment dans ce secteur. L’intégration de critères ESG dans les procédures KYC, ainsi que la coopération entre agences environnementales et cellules de renseignement financier, devient impérative.

Conclusion

Le recyclage du plastique, s’il n’est pas correctement encadré, peut constituer une façade idéale pour des opérations criminelles à grande échelle. Les autorités nationales, les institutions financières et les organismes de régulation doivent conjuguer leurs efforts pour renforcer la transparence des chaînes de valeur, améliorer le suivi des flux financiers liés au traitement des déchets, et intégrer cette problématique dans les politiques de lutte contre le blanchiment d’argent et le financement du terrorisme.

Sources

– Inkyfada, 2020 : « L’affaire des déchets italiens en Tunisie »
– ICIJ, 2021 : « How plastic waste is exported and burned in Eastern Europe »
– The Guardian, 2021 : « Branded recyclable waste ending up in illegal incineration sites »
– Rapport Basel Action Network (BAN), 2020 : « Plastic Waste Transparency Project »

Le GAFI renforce ses recommandations en matière de LBA/FT et de lutte contre la prolifération (Février 2025)

Normes internatinales sur la LBA/FT/ADM

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Le GAFI renforce ses recommandations en matière de LBA/FT et de lutte contre la prolifération (Février 2025)

07 mars 2025,
Par Dr. Oussama MARGHENI.

Le Groupe d’action financière (GAFI) a publié ses Recommandations mises à jour, version février 2025, renforçant les normes internationales en matière de lutte contre le blanchiment d’argent (LBA), le financement du terrorisme (FT) et la lutte contre le financement de la prolifération (CFP).

Principaux points à retenir :

1-Renforcement de l’approche basée sur les risques (RBA)

• Les pays et les institutions financières doivent évaluer en continu les risques de blanchiment d’argent et de financement du terrorisme.

• Les risques liés au financement de la prolifération (associés aux armes de destruction massive) doivent désormais être explicitement évalués et atténués.

• Un accent accru est mis sur la prise de décision basée sur les données dans la gestion des risques.

2-Renforcement de la lutte contre la criminalité financière et la récupération des avoirs

• Identification, gel et confiscation renforcés des avoirs illicites, même en l’absence de condamnation judiciaire.

• Coopération transfrontalière améliorée pour les enquêtes sur le blanchiment d’argent, le terrorisme et le contournement des sanctions.

• Extension des mandats juridiques des régulateurs pour saisir les actifs liés aux cryptomonnaies utilisés dans des activités illicites.

3-Transparence accrue des entreprises et réglementation sur les bénéficiaires effectifs

• Exigences de divulgation plus strictes pour les entreprises et les trusts afin d’empêcher l’anonymat facilitant la criminalité financière.

• Mise en place de registres centralisés des bénéficiaires effectifs, accessibles aux régulateurs et aux cellules de renseignement financier (CRF).

• Restrictions supplémentaires sur les actions au porteur et les actionnaires désignés, qui compliquent l’identification des propriétaires réels.

4-Nouvelles normes pour les actifs virtuels et les technologies émergentes

• Le GAFI impose une surveillance plus stricte des prestataires de services d’actifs virtuels (VASP), alignant les règles de LBA pour les cryptomonnaies sur celles des institutions financières traditionnelles.

• Recommandation de contrôles de conformité basés sur les nouvelles technologies, notamment la surveillance via l’intelligence artificielle pour améliorer la détection des crimes financiers.

• Renforcement des réglementations sur les transactions transfrontalières en actifs virtuels afin de lutter contre le blanchiment d’argent et le financement illicite via les cryptomonnaies.

5-Mesures élargies contre le financement du terrorisme et le contournement des sanctions

• Les pays doivent appliquer des sanctions financières ciblées pour prévenir le financement du terrorisme et la prolifération des armes de destruction massive.

• Les organisations à but non lucratif (OBNL) doivent évaluer leurs risques de financement du terrorisme, tout en s’assurant que leurs activités légitimes ne soient pas affectées.

• Surveillance accrue des relations de correspondance bancaire pour éviter la facilitation des transactions illicites.

6-Renforcement de la coopération internationale et de l’entraide judiciaire

• Le GAFI appelle à un partage plus rapide des renseignements financiers transfrontaliers afin d’empêcher les criminels d’exploiter les failles réglementaires entre juridictions.

• Les pays doivent s’aligner sur les résolutions du Conseil de sécurité des Nations unies (UNSCR) concernant la lutte contre le financement du terrorisme et l’application des sanctions.

Recommandations du GAFI :

  • Mettre en place une surveillance avancée des transactions en utilisant l’intelligence artificielle pour détecter plus efficacement les activités financières suspectes.
  • Renforcer la conformité en matière de transparence des bénéficiaires effectifs.
  • Améliorer la coordination transfrontalière en matière de LBA/FT en favorisant les partenariats entre les institutions financières, les régulateurs et les autorités judiciaires.
  • Assurer une supervision rigoureuse des actifs virtuels en appliquant la Travel Rule* du GAFI aux transactions en cryptomonnaies et en surveillant les risques liés à la finance décentralisée (DeFi).

Notre interprétation

Les mises à jour récentes des recommandations du GAFI en février 2025 témoignent d’une volonté accrue de renforcer la lutte contre le blanchiment d’argent, le financement du terrorisme et la prolifération des armes de destruction massive. L’accent mis sur la transparence des bénéficiaires effectifs, la surveillance des actifs virtuels et la coopération internationale répond aux défis croissants liés à la digitalisation des flux financiers et aux stratégies sophistiquées des criminels. Toutefois, ces évolutions exigent des institutions financières, des régulateurs et des entreprises une adaptation constante pour garantir une conformité efficace. Paradoxalement, atténuer les risques liés aux nouvelles technologies passe par l’adoption de ces mêmes technologies : l’intelligence artificielle, l’analyse avancée des données et les solutions de surveillance automatisées deviennent ainsi des outils indispensables pour anticiper, détecter et contrer les menaces émergentes sans freiner l’innovation légitime du secteur financier.

*Zoom sur la Travel Rule du GAFI

La Travel Rule (ou règle du voyage) est une exigence du GAFI qui impose aux prestataires de services d’actifs virtuels (VASP) de collecter et transmettre des informations sur l’expéditeur et le destinataire des transactions en cryptomonnaies. Cette mesure vise à empêcher les criminels et les terroristes d’exploiter l’anonymat des transactions en actifs numériques. Elle s’aligne sur les normes applicables aux transactions bancaires traditionnelles et permet aux autorités de tracer les flux financiers illicites à travers les juridictions.

Dr. Oussama MARGHENI anime une formation en Renseignement et Investigation Numériques au profit des cadres de l’INLUCC et son homologue jordanien IACC
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Dr. Oussama MARGHENI a assuré une formation sur les renseignements et l’investigation numériques au profit des participants. Une compétence clé dans le process de lutte contre la corruption par la collecte et la vérification des données.
La formation a constitué une occasion précieuse d’échange d’expertises entre deux instances avec de si importants rôles, et surtout en matière de collaboration des experts du secteur public et du secteur privé qui mettent la main dans la main pour le bien de leurs pays.

L’intelligence Artificielle pour lutter contre la criminalité financière : Panel animé par les experts de Regrow
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Plusieurs experts ont animé ce Webinaire : de la CTAF, du Pôle sécuritaire de lutte contre le terrorisme et le crime organisé, de l’INLUCC, de L’Association Tunisienne des Contrôleurs Publics, de la profession bancaire et du secteur privé.

Les Etablissements de Paiement en Tunisie : Nouveaux services, nouveaux acteurs, nouveaux enjeux
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Quels sont alors les services fournis par ces nouveaux acteurs ? Que sont les nouveaux risques et enjeux de ces services en matière de BA/FT ? Quelles sont les mesures prises par la Banque Centrale de Tunisie pour gérer ces risques ? Et comment ces mesures devront être transposées chez les établissements de paiement pour se conformer à la réglementation en vigueur ?